Mais quel lien peut-il donc exister entre le plus célèbre baron de la drogue, Pablo Escobar, et une famille dévastatrice d’hippopotames en provenance d’un zoo californien ? La question peut sembler absurde, voire totalement stupide, mais la réponse qu’elle implique se trouve à la hauteur de la perplexité qu’elle suscite. De fait, bien que le caractère incongru de cette relation puisse nous pousser à n’y accorder qu’un faible crédit, les deux espèces animales, l’une carnassière, l’autre herbivore, entretinrent bel et bien un lien surprenant.
Aussi, pour tenter de percer à jour les mystères de cette rencontre atypique, il nous faut, au préalable, nous plonger dans les prémices d’une folie aussi meurtrière que dépensière, au milieu des années 70.
En effet, c’est à cette époque, en 1975, que le simple dealer commence à se faire un nom dans le domaine de la drogue en assassinant un trafiquant notoire du nom de Fabio Restrepo et en subtilisant ainsi sa place sur le marché. L’année suivante il se fait arrêter par les autorités colombiennes alors qu’il transporte 18 kg de pâte de cocaïne dans les pneus de ses camions. Au terme d’une intense campagne de corruption, il parvient à faire poursuivre les juges responsables de l’affaire et à s’extirper de toute inculpation. Commence ainsi le début d’une « politique » de terreur sur le gouvernement du pays : plata o plomo, à traduire par l’argent ou le plomb.
Fort de cet état d’esprit, Pablo Escobar augmentera les chiffres d’affaires de son commerce en tuant allègrement le moindre opposant à sa cause s’il n’est possible de le soudoyer au préalable. C’est dans ce contexte que seront assassinées deux figures de proue nationales : le ministre de la Justice, Rodrigo Lara Bonilla, en 1984, et le candidat à la présidence, Luis Carlos Galán, en 1989.
Ainsi, grâce à son emprise inextricable sur les institutions colombiennes, Pablo Escobar se hisse rapidement dans le classement Forbes des entrepreneurs les plus riches et parvient même, en 1982, à obtenir un siège à la chambre des représentants de son pays.
Toutefois, parmi les épisodes les plus loufoques de ce parcours cahoteux, il s’en trouve un qui nous intéresse au plus haut point.
En effet, en 1978, le trafiquant fait l’acquisition d’une vaste propriété qu’il nomme « La Hacienda Nápoles » où il s’installe avec sa famille et ses hommes de main. Le complexe comprend notamment une piste d’atterrissage, un circuit de karting, six piscines et, surtout, un zoo abritant des espèces aussi exotiques que des girafes, des autruches et… des hippopotames !
Hélas, bien mal acquis jamais ne profite.
Aussi, les années fastes et la gloire de Pablo finissent par se ternir lorsque ce dernier est incarcéré dans une prison bâtie, toutefois, à sa mesure. Il ne restera, en fait, à La Catedral que 1 an et 1 mois avant de s’en échapper tranquillement et de vivre les restants de ses jours en cavale perpétuelle. 16 mois après son évasion, en 1993, le baron de la drogue est finalement abattu lors d’une fusillade sur les toits de Medellín. Le cliché obtenu de sa dépouille à cette occasion restera à jamais gravé dans l’Histoire.
Néanmoins, à l’Hacienda Nápoles, les exotiques résidents du zoo local se retrouvent alors livrés à leur sort, particulièrement les pauvres hippopotames de Californie qu’aucun acheteur ne se propose d’acquérir. Le reste des animaux sera, pour sa part, acheminé vers d’autres parcs d’amusement où il connaîtra des jours légèrement plus paisibles.
Abandonnée de tous, la famille de quatre hippopotames va alors errer le long des eaux du fleuve Magdalena qui longe la propriété du baron déchu. Leur vitesse de reproduction étant assez élevée, la population connaît une augmentation exponentielle favorisée, en outre, par l’absence de prédateurs naturels et l’abondance des ressources. On recense, par exemple, 16 individus pour l’année 2007 et 35 têtes pour l’année 2016. Au vu de l’évolution favorable de l’espèce dans la faune colombienne, le gouvernement estime même que si aucune mesure n’est entreprise pour freiner sa prolifération, le pays comptera, en 2026, une centaine d’hippopotames sur son territoire.
Mais loin de susciter la joie des autochtones, la reproduction de cet animal constitue un véritable problème pour la biodiversité locale et la sécurité des villageois. De fait, l’espèce, n’étant menacée par aucun prédateur, elle empiète rapidement sur la faune du pays et menace d’attaquer des paysans labourant leurs champs. Il convient de signaler, en effet, que l’hippopotame constitue l’un des animaux les plus craints de la savane africaine en raison de son extrême susceptibilité.
Ainsi, différents programmes sont envisagés afin de réduire la population de cette espèce jugée invasive. Certains ministres proposent, par exemple de mener une campagne de castration à l’égard des mâles de la famille ou de purement et simplement les abattre à vue. La première solution ne peut aboutir en raison de son coût de suivi particulièrement élevé tandis que la seconde suscite l’indignation de la population lorsqu’un cliché d’hippopotame abattu est publié dans la presse colombienne. Enfin, il est également considéré d’organiser une vaste opération de déplacement des mammifères, mais là aussi, les autorités se heurtent à deux difficultés : le caractère onéreux du dispositif et l’impossibilité de les envoyer vers l’Afrique où ils pourraient propager des maladies endémiques.
Il semble donc qu’à l’instar de leur second propriétaire, en son temps, les hippopotames colombiens mènent aujourd’hui une vie de cavale et de poursuites dans les méandres insondables de la flore tropicale. Il n’est toutefois pas certain que les feuilles de la région leur servent de gagne-pain… et encore !
Auteur : Maxime Wève