Un ours superstar fait trembler dix millions de spectateurs

Le film intitulé L’Ours fut incontestablement l’événement cinématographique de l’année 1988. Ce fut un grand moment de cinéma, avec frissons garantis.

Si le tournage ne prit que 109 jours, il fut néanmoins précédé de quatre années de préparation, car il s’agissait de relever un défi sans précédent : maîtriser les prestations de deux créatures sauvages, rarement mises en vedettes devant les caméras : un ours brun de grande taille de la race Kodiak et un ourson à peine sevré, chargés tous deux d’apporter aux spectateurs une bonne
dose d’adrénaline et d’émotions en tous genres.

Quatre années de dressage intensif ont été en effet nécessaires pour confier les premiers rôles à ces animaux réputés pour leur caractère ombrageux et volontiers agressif. L’ours brun est, en effet, de toutes les races de plantigrades celui qui a la plus fâcheuse réputation.

Dans la forêt de tous les dangers

L’idée du film est partie du roman célèbre de l’écrivain américain James Oliver Curwood Le Grizzly,
une œuvre datant de 1916, qui est resté un classique de la littérature pour les amoureux des grands espaces et de leur faune.

La trame du livre (et du film) est simple mais crée d’emblée une atmosphère envoûtante, où l’on passe rapidement de l’attendrissement à un sentiment de fiévreuse oppression.

Un ourson orphelin, appelé Youk, livré à lui-même depuis que les chasseurs ont abattu sa mère, se trouve très vite confronté, dans l’immense forêt canadienne peuplée de tous les dangers, à des situations qui le dépassent. Inconscient et maladroit, face aux pumas et autres prédateurs qui
le menacent, ses chances de survie paraissent bien minces.

Il sera heureusement adopté par Bart, un grand ours solitaire, qui va le prendre sous sa protection et lui apprendre comment on peut devenir un ours adulte.

Dans la nature, il est pourtant rare que les ours mâles se préoccupent du sort des petits, et ils ont même souvent tendance à les tuer. Mais Bart avait sans doute la fibre paternelle un peu plus développée que ses congénères.

Quand c’est l’ours qui tient le fusil…

Mais nous ne sommes pas dans un conte de Walt Disney.

La forêt canadienne n’y est pas un univers enchanté mais un lieu où chaque créature est exposée en permanence à de cruelles réalités. Le visage du Mal se présente bientôt sous la forme de deux chasseurs plutôt rustres, bien décidés à capturer l’ourson à des fins mercantiles. Commence alors,
pour les deux hommes, une poursuite haletante sur les traces de leur proie.

Lorsque l’un d’eux, qui vient de déposer son fusil pour souffler un peu, se fait surprendre par Bart, l’ours solitaire, et que sa vie ne tient plus qu’à un fil, toutes les données de ce cruel jeu de piste semblent subitement renversées.

L’homme est cette fois entièrement à la merci de ce fauve rugissant qui se dresse devant lui de toute sa hauteur.

On peut imaginer ce qui se passe dans la tête du prédateur devenu proie : le dépit, l’humiliation, mais plus que tout la peur… car sa dernière heure semble bel et bien venue.

Tout bascule dans son cerveau

Alors, quand l’ours géant, après une longue séance d’intimidation, se résout magnanimement à lui laisser la vie sauve et à s’en aller en renonçant à une vengeance pourtant facile, quelque chose vient de basculer dans le cerveau et dans le cœur du chasseur. Le rescapé se sent d’un seul coup saisi d’un immense respect et d’une énorme admiration pour cet ours et tous les animaux de la Création. Un amour total qu’il étend à toutes les formes vivantes de la nature.

Il devient subitement cet homme qui n’éprouve plus le besoin de tuer mais, au contraire, de défendre tout ce qui est menacé dans notre environnement. Il se heurtera bien sûr à l’incompréhension de son partenaire et de tous ceux pour qui la peau de l’ours doit se transformer au plus vite en espèces sonnantes et trébuchantes. Mais les deux ours échapperont au massacre programmé…

Vedette de mère en fils

Le tournage est sensé se dérouler en Colombie-Britannique, dans l’ouest du Canada. Toutefois, pour des raisons pratiques, les différentes scènes ont été tournées en Europe, dans les Dolomites italiennes, en Bavière et dans le Tyrol autrichien.

Les prises de vues exigèrent un personnel technique de 180 personnes, mais c’est évidemment aux dresseurs d’animaux qu’appartenaient toutes les décisions capitales, leur présence étant continuellement indispensable pour chaque séquence.

L’Ours Bart n’était pourtant pas un nouveau venu au cinéma, mais jamais encore un animal sauvage n’était apparu aussi longuement à l’écran (quasiment du début à la fin) au premier plan et dans des situations aussi variées.

Bart était né en 1977, en Alaska probablement, à moins que ce ne soit dans le Maryland. Sa mère était déjà une ourse vedette, dressée pour le cinéma, qui avait fait plusieurs apparitions sur grand écran, principalement dans des documentaires.

Le seul homme qui parle l’ours couramment

Bart appartenait à cette race d’ours géants appelée Kodiak. Il mesurait près de 3 mètres de haut et pesait 780 kilos. Il était devenu la propriété de Doug Seus, le dresseur magicien, le seul homme qui
parle l’ours couramment, assurément le dompteur d’ours le plus célèbre d’ Hollywood.

Dans sa ferme de l’Utah, avec sa femme Lynn, il vit en permanence entouré de trois ou quatre de ces géants, pesant tous plus d’une demi-tonne. Entre deux séances de dressage, il partage leurs jeux, se dispute avec eux, n’hésite pas à les serrer dans ses bras, à les embrasser sur la truffe ou même à glisser sa tête dans leur gueule. Il sait pourtant bien qu’à tout moment il pourrait se faire décapiter d’un simple coup de patte, chacune de celles-ci étant garnie de griffes longues de 15 cm.

Des centaines d’heures de travail Doug Seus, qui a aujourd’hui allègrement franchi le cap de la septantaine, exerce son métier depuis plus de quarante ans : un métier qui consiste à fabriquer des ours de cinéma. Hollywood est son principal client. Il se charge aussi pendant les tournages de la sécurité des acteurs humains, qu’il s’agisse de Brad Pitt, de Matt Damon, d’Alec Baldwin ou d’Anthony Hopkins qui ont tous partagé la vedette avec ses protégés.

La rencontre de Doug Seus avec Jean-Jacques Annaud marqua un moment décisif dans la carrière de l’ours Bart.

Le rôle qu’on attendait de son animal vedette impliquait des scènes difficiles et dangereuses, d’où la longue préparation.

Ce film qui a exigé des centaines d’heures de travail pour obtenir une maîtrise extrême du comportement de l’ours géant a été salué comme une prouesse inégalée jusque-là.

Pour la première fois, un ours à l’écran était promu au rang de superstar.

Un acteur de 800 kilos

La scène où Bart gesticule à quelques pas du chasseur désarmé et cloué sur place était jugée particulièrement périlleuse. Le moindre geste maladroit ou involontaire aurait pu avoir des conséquences catastrophiques.

Mais Doug veillait au grain et tout se passa sans problème.

Son gros nounours se comporta en véritable acteur responsable. Un acteur de près de 800 kilos !

D’autres rôles lui seront d’ailleurs confiés par la suite mais d’un registre mineur, dans lesquels il n’apparaît pas toujours sous un jour aussi sympathique. On lui fera souvent jouer le rôle d’un grizzli agressif.

Que sont-ils devenus ?

Que sont devenues aujourd’hui les stars à quatre pattes du film de J-J. Annaud ? Une question souvent posée par les nombreux amis des bêtes.

Bart, le héros principal, est décédé en l’an 2000 pendant le tournage de son dernier film, dont il partageait la vedette avec Brad Pitt. Il avait atteint l’âge de 23 ans, l’espérance de vie de l’espèce se situant entre vingt et trente ans.

Quant à Youk, l’ourson orphelin qui éveilla la compassion de neuf millions et demi de spectateurs, il retourna, à l’issue du film, auprès de son dresseur français Jean-Philippe Varin, qui l’avait élevé dans sa propriété de Sainte-Montaine. Il faut préciser que, pour le film, Youk avait partagé le rôle avec une douzaine de doublures, tous ces oursons ayant été élevés et dressés dans la même nurserie que Youk. Au lendemain du film d’Annaud, ces oursons furent répartis entre différents parcs zoologiques français et européens.

Le dresseur Doug Seus et sa femme Lynn ont créé, de leur côté, une association (Vital Ground) qui milite activement pour la préservation du milieu naturel des ours et des grizzlis, menacés en Amérique comme ailleurs.