Lassie aussi fidèle qu’infatigable…

La belle aventure de Rintintin allait inévitablement faire des émules. D’autres chiens, prêts à sortir de leur condition ordinaire de simples cabots, devaient à leur tour se découvrir une vocation de comédien et emboiter leurs pattes dans les traces de leur illustre prédécesseur. Bientôt, le feu des projecteurs hollywoodiens se braquera sur une autre star canine.

Le personnage de Lassie est né en 1938. C’est, au départ, l’héroïne d’un roman de l’écrivain anglais, Éric Knight qui, parmi bien d’autres activités, s’était spécialisé dans les contes et nouvelles pour enfants.

À cette époque, Knight, dont la vie était déjà un prodigieux roman d’aventures, élevait des chiens colleys dans sa ferme de Pennsylvanie.

Son chien devient son meilleur roman

Toots était sa chienne préférée : elle le suivait partout. Il pouvait lire dans ses yeux comme dans un livre ouvert, tant elle était expressive, toujours partante pour de longues randonnées. Quelle ne fut pas sa détresse lorsqu’il la crut définitivement perdue dans les bois immenses, peuplés
d’ours et de loups, qui entouraient sa propriété à l’infini.

Et quel ne fut pas son soulagement, quelques jours plus tard, quand, contre toute attente, la chienne, couverte de boue, se présenta devant sa porte.

Cette double émotion lui inspira ce qui allait devenir la belle histoire de Lassie chien fidèle, son meilleur roman, sorti en 1940.

Mais attardons-nous un instant sur l’existence peu banale de cet écrivain qui n’aura, hélas, pas vécu assez longtemps pour assister au succès planétaire de sa créature de fiction et surtout de son prolongement au cinéma.

Sa vie est un roman d’aventures

Éric Knight est né dans le Yorkshire, de parents quakers, dans les toutes dernières années du XIXe
siècle. C’est une famille de grands voyageurs qui trimballent leur bébé aux quatre coins du monde. Son père, riche négociant en diamants, s’est installé en Afrique du Sud mais il y trouvera une mort précoce au cours d’un épisode dramatique de la Seconde Guerre des Boers en 1899.

Éric n’a que deux ans quand sa mère, sans ressources, se voit obligée d’abandonner ses quatre enfants à des parents en Angleterre, avant de partir elle-même pour Saint-Pétersbourg, en Russie tsariste, où elle travaillera comme gouvernante au service de la famille impériale. Éric ne la reverra qu’une douzaine d’années plus tard, quand elle s’établira aux États-Unis.

Quand éclate la Première Guerre mondiale, le jeune homme s’engage comme fantassin dans l’armée canadienne. Sorti indemne du conflit, il se livre à une succession de petits boulots qui le confirment dans son désir de vivre de sa plume. Il est critique cinématographique dans un journal et bientôt scénariste à Hollywood, cette capitale d’un cinéma encore tout neuf, avide de talents.

La mort de sa chienne Toots donne naissance à Lassie

La vie sentimentale du jeune Éric est aussi un peu agitée.

D’un premier mariage avec Dorothy Hall, en 1917, il aura trois filles. Il divorce et se remarie en 1932 avec Jere Brylawski. C’est avec cette seconde épouse qu’il se livre, accessoirement, à l’élevage de chiens colleys.

Sans se douter que sa renommée d’écrivain va partir de là.

Jusque-là, il s’était contenté de publier des romans et des recueils de nouvelles essentiellement destinés à la jeunesse et dont l’humour très british lui avait déjà valu un succès d’estime. Lorsqu’en 1938, il se met à écrire les aventures de sa chienne Toots, rebaptisée Lassie pour la circonstance, il
en publie les premiers épisodes en feuilleton dans le magazine Saturday Evening Post.

Mais la brave Toots rendra l’âme l’année suivante. L’écrivain, très affligé, l’enterre dans sa propriété, au flanc d’une colline dominant sa ferme. Alors, pour prolonger sa mémoire, il nourrit son inspiration du personnage de Lassie. Il en rallonge l’histoire qui prend la consistance d’un roman. Il ne voit pourtant dans cette rédaction qu’une sorte d’exutoire à son chagrin, à la rigueur un travail alimentaire
qu’il soumet à son éditeur. Mais le livre, publié en 1940, à la veille de la Seconde Guerre mondiale, connaît contre toute attente un succès considérable. Ce récit, habilement mené, contient, en effet, de nombreux passages émotionnellement très forts.

Liz Taylor, première complice de Lassie

En 1943, Éric Knight est invité dans les studios de la Métro Goldwyn Mayer à Hollywood. On lui annonce que son roman va être porté à l’écran et on lui propose de superviser le tournage. Il est présenté aux jeunes acteurs qui vont tenir les principaux rôles humains, Roddy McDowall et une charmante starlette débutante qui deviendra bientôt la petite fiancée de l’Amérique, Elizabeth Taylor.

Mais surtout, il fera connaissance avec ce chien superbe qui va incarner Lassie et faire battre les cœurs de millions de spectateurs.

Le tout premier chien qui joua Lassie à l’écran s’appelait en fait Pal. Rachetée pour cinq dollars à un maître qui n’en voulait plus parce qu’il la trouvait trop exubérante, cette femelle collie allait bientôt s’imposer devant trois cents concurrents lors des tests de sélection devant les caméras.

Le dressage coûte trop cher : il doit vendre son chien

C’était un superbe berger colley, soigneusement choisi pour sa prestance et sa photogénie. Bien sûr, toute élitiste qu’elle soit, cette race n’est pas aussi docile à diriger dans le métier d’acteur qu’un berger allemand, surtout de la trempe d’un Rintintin. Son propriétaire initial avait d’ailleurs fini par y renoncer et par faire appel à un dresseur professionnel, un certain Rudd Weatherwax, assisté par son frère Frank.

Mais un dressage de cette ampleur coûte cher et le maître de Pal-Lassie, dans l’impossibilité de payer la facture, avait dû abandonner la propriété de son chien à son nouvel entraîneur.

Le résultat fut convaincant dès les premières prises de vue.

Au plus fort des années de guerre, le film apportait une grande bouffée de fraîcheur et de beaux sentiments dans une Amérique qui en avait bien besoin. Lassie connaît tout de suite une célébrité éclatante. Enfants et parents s’attendrissent sur les exploits de cette chienne intelligente et fidèle qui va d’ailleurs lancer une mode canine durable et dont le nom de scène deviendra tout simplement synonyme de la race.

Lassie orpheline de son créateur

Malheureusement, le vrai père et créateur de Lassie n’assistera pas à ce triomphe. Éric Knight, l’écrivain aventurier, a été engagé dans les Services spéciaux de l’armée américaine.

En cette année 1943, qui devait être celle de la consécration de son œuvre, alors qu’il effectue une mission secrète en Amérique du Sud, au-dessus du Surinam, son avion s’écrase dans la jungle et il n’y a aucun survivant. Il a laissé dans ses tiroirs plusieurs manuscrits inédits qui ne seront publiés qu’après sa mort.

Lassie poursuivra sans lui une carrière internationale.

Succès oblige, il n’y aura pas moins de sept remakes à la gloire de la chienne-star, dont les exploits se situent toujours dans des décors à couper le souffle. Après le Fidèle Lassie de 1943, il y aura l’inévitable Le Fils de Lassie en 1945, Le courage de Lassie, l’année suivante, Le maître de Lassie en 1948, Le Défi de Lassie en 1949, La Magie de Lassie en 1978, un Lassie : des amis pour la vie en 1994
et un Lassie en 2005, dont le mérite était de retourner aux sources du mythe et de lui rendre un peu
du souffle et de la fraîcheur qu’il avait perdus au fil des réalisations.

Retrouver ses émotions de jeunesse

Le réalisateur de cette dernière version, Charles Sturridge, déclarait à ce propos :

En repartant du texte original et en restant fidèle aux attitudes des premiers personnages, j’ai essayé
de restituer l’esprit de départ de cette saga, afin que chacun puisse y retrouver ses souvenirs et ses émotions de jeunesse.

On pourra regretter que les scénarios de tous les Lassie tournent toujours à peu près autour de la même histoire : les aventures et mésaventures d’une chienne perdue ou abandonnée dans des circonstances pathétiques et qui, après avoir franchi de longues distances et affronté bien des périls, retrouve ses maîtres, qui finiront par s’apercevoir que ce chien est un trésor de dévouement et de fidélité.

À titre d’exemple, voici le scénario-type de toutes les versions adaptées à l’écran :

Parce qu’elle est ruinée, une famille est contrainte de se séparer de sa chienne adorée, Lassie. Emmené à des milliers de kilomètres, l’animal ne se résout pas à cet éloignement. Son jeune maître lui manque trop. Lassie entame alors un incroyable, un fabuleux voyage à travers le pays pour retrouver ceux avec qui elle veut vivre…

Ou encore :

À la veille de la Seconde Guerre mondiale, pour des raisons financières, Sam Carraclough, qui vit dans une bourgade du Yorkshire, doit se séparer de sa chienne Lassie au grand dam de son fils, Joe. Le berger écossais est vendu à un duc, qui souhaite en faire cadeau à sa petite fille Cilla, en vacances chez lui. Mais un beau matin, ne supportant plusd’être séparé de son jeune maître, le colley se sauve…  

On appréciera la subtilité des nuances…mais aussi souvent la pauvreté d’invention.

Une existence de monstre sacré

Tout au long de sa carrière cinématographique, Lassie mena une existence de monstre sacré. Elle avait son appartement personnel et le droit d’utiliser des doublures pour les séquences dangereuses. Ses contrats, très plantureux, prévoyaient des durées de tournage qui, syndicalement, ne pouvaient excéder sept heures de travail par jour.

La mort de Lassie ne sera jamais officiellement annoncée, car sa fille prit immédiatement la relève et, après celle-ci, de nombreux sosies permirent d’exploiter encore quelque temps le fabuleux filon.

Avant que Pal-Lassie ne passe de vie à trépas, son propriétaire avait pris soin de le croiser avec de nombreux partenaires pour assurer sa descendance. Pour le tournage des versions ultérieures, pas moins de neuf rejetons du Lassie original furent employés. Mais il fallut aussi engager des collies provenant d’autres élevages pour des scènes secondaires.

Mâle ou femelle ? Le mystère de Lassie

Car le succès des Lassie ne devait pas se limiter au cinéma.

Alors que le chien vedette avait aussi son émission à la radio, la télévision se montra rapidement gourmande pour des séries adaptées au petit écran. Pendant vingt ans, de 1954 à 1974, les épisodes défileront sur toutes les chaînes télévisées de la planète, dans des versions qui ne sont pas toujours cohérentes les unes avec les autres et qui sombreront plus d’une fois dans une regrettable niaiserie. Il est vrai que ce genre d’émission devait être accessible aux enfants dès l’âge de 3 ans. Dans cette succession d’épisodes, les propriétaires du chien sont rarement les mêmes et il arrive que Lassie se comporte en chien solitaire et indépendant, sans maître du tout.

Curieusement, alors que l’on a toujours officiellement prétendu que Lassie était une femelle, il semblerait que tous les chiens ayant incarné la star à quatre pattes étaient des mâles, uniquement pour des raisons techniques et photogéniques : les femelles en effet perdent une partie de leur
fourrure à une certaine époque de l’année et les tournages ne pouvaient souffrir cet inconvénient ni subir aucune interruption.

Mais la gloire de Lassie est désormais gravée dans la pierre à l’attention des générations futures : comme Rintintin, le colley-superstar possède son étoile gravée sur Hollywood Boulevard, le long du parcours de la fameuse Walk of Fame.

Le chien favori de la reine Victoria

Comme on l’a dit, Lassie a universellement popularisé la race des colleys à poils longs, originaire d’Écosse et qui se confond volontiers avec celle des borders collies.

C’était le chien favori de la reine Victoria qui contribua à lui donner ses lettres de noblesse en favorisant la reconnaissance officielle des standards de la race, en 1881.

Les colleys sont des chiens doux, affectueux et intelligents, qui donnent envie de plonger les doigts dans leur épaisse et chatoyante fourrure. La fidélité de ce beau compagnon est à toute épreuve envers ses maîtres, car il a le sens de la famille et se montre particulièrement patient avec les enfants.
Il est cependant assez méfiant avec les étrangers et se montre bonne sentinelle. Parfait compagnon de jeux, prêt à vous suivre dans tous vos déplacements – car il est très actif – son éducation exige cependant un peu de fermeté, comme c’est le cas pour tous les chiens bergers. Sa beauté joue parfois contre lui : trop de futurs propriétaires se laissent séduire par son élégance esthétique et sont déçus de ne pas retrouver les mêmes qualités que chez le héros des films. Tout simplement parce que tous les colleys ne sont pas des Lassie de cinéma…