Cheetah est mort, vive Cheetah ! – Qu’est devenu le chimpanzé de Tarzan ?

Jamais un tel climat de confusion, de mystère, d’invraisemblance et de mensonge n’a entouré une vedette de l’écran.

Qu’est devenu le chimpanzé Cheetah, le partenaire inséparable de Tarzan, c’est-à-dire le vrai Cheetah du vrai Tarzan, quand ce dernier était encore incarné par Johnny Weissmuller, le plus populaire interprète du rôle ?

Bien malin qui pourrait le dire avec certitude. Toutes les enquêtes et investigations menées sur le sujet n’ont fait que renforcer les doutes et les interrogations autour de la destinée post-cinématographique de ce singe mythique.

Autographe du singe Cheeta du film de 1932 « Tarzan the Ape Man »

Hollywood semble avoir pris un malin plaisir à entretenir cette nébuleuse énigme. Curieusement, la capitale du cinéma n’a jamais jugé opportun de lui accorder une étoile sur son célèbre Walk of Fame, comme elle le fit pour Lassie et Rintintin.

Pourtant, le jour de Noël 2011, l’information, diffusée sur les réseaux sociaux, annonçant la mort de Cheetah, faisait aussitôt le tour du monde et procurait un intense moment d’émotion à tous ceux que les aventures de Tarzan avaient jadis enthousiasmés. La nouvelle émanait du sanctuaire pour primates Suncoast, à Palm Harbor, en Floride, où le célèbre chimpanzé coulait jusque-là des jours heureux, depuis sa mise à la retraite.

L’animal, précisait la directrice du refuge, Debbie Cobb, venait de succomber à une insuffisance rénale à l’âge de 79 ans.

Un singe Mathusalem

Mais l’étonnante précision concernant l’âge canonique de cette ancienne gloire hollywoodienne souleva très vite quelques suspicions chez les spécialistes. Un chimpanzé en liberté vit rarement plus de 40 ans. En captivité, il peut espérer dix ans de plus, mais guère au-delà. Alors ? S’agissait-il vraiment du Cheetah qui avait joué aux côtés de Johnny Weissmuller et de Maureen Sullivan dans les années 30-40 ? Avait-on affaire à un réel phénomène de longévité ?

Une sorte de Mathusalem de la gent simiesque ? Comparé à une vie d’homme, c’est comme si ce singe avait vécu 160 ans !

Relayées par l’Agence Associated Press, les déclarations des responsables du refuge se bornaient à rappeler que Cheetah, au cours de sa retraite dorée, aimait peindre avec les doigts, regarder à la télé les matchs de football américain et, pendant ses siestes dominicales, écouter de la musique religieuse.

 

Fait regrettable : un incendie avait précédemment détruit les archives du refuge Suncoast, réduisant en fumée tous les documents relatifs à l’origine et la provenance de ses pensionnaires.

Trahis par leurs oreilles

Quelque temps auparavant, le journaliste et écrivain américain Richard. D. Rosen avait été chargé par le Washington Post de tenter de reconstituer la biographie du singe-vedette. Mais, très vite, son enquête lui donna le sentiment de partir dans tous les sens et le plus souvent de s’enfoncer dans des impasses.

Ce qui, d’emblée, compliquait ses investigations, c’est d’être persuadé que plusieurs chimpanzés s’étaient succédé dans les films de Tarzan, tous n’étant pas nécessairement doués pour les mêmes prestations. Parfois, plusieurs singes se partageaient le rôle dans un même film.

 

Cette conclusion lui était apparue en comparant les photos des chimpanzés apparus dans tous les films de Tarzan. Il s’était ainsi rendu compte que, comme chez les humains, chaque singe possède sa physionomie propre. La forme et le dessin de leurs oreilles, en particulier, constituent des signes distinctifs.

 

Qui fut le premier Cheetah ?

À partir de là, c’est la bouteille à encre. Les suppositions se chevauchent, s’entremêlent et se contredisent, les témoignages récoltés cultivant comme par plaisir l’équivoque et le quiproquo.

Qui fut le premier Cheetah à l’écran ? C’est dans le deuxième film de la série des Tarzan, Tarzan trouve une compagne, tourné en 1932, que ce sympathique animal fit sa première apparition. Il semblerait qu’à cette époque, peu avant le premier tour de manivelle, un dresseur professionnel ait amené aux États-Unis un chimpanzé, né quelques mois plus tôt au Liberia. Il aurait dissimulé le bébé
singe sous son manteau à bord d’un avion de la Pan Am.

Ce chimpanzé, qui s’appelait Jitts à l’origine, aurait été engagé par la Paramount pour devenir le compagnon fétiche de Tarzan. Il aurait effectivement vécu très longtemps, au point de figurer au Guinness Book des records. Cheetah-Jitts aurait même survécu à Tarzan, à Jane et à leur fils.

Happy birthday en langage chimpanzé

Pourtant, quelques anomalies de taille subsistent dans cette version un peu trop belle pour être tout à fait plausible.

D’abord, comme on l’a dit, cette longévité de près de 80 ans semble peu vraisemblable. Le Guinness Book se serait-il laissé abuser ? Mais pas seulement. En 2009, la grande spécialiste des primates, Jane Goodall, avait souhaité au vieux singe un joyeux 75e anniversaire, en s’exprimant dans le langage
par signes qu’elle utilisait depuis des années avec les singes sauvages de Tanzanie. Elle lui aurait même chanté Happy birthday dans la langue des chimpanzés ! Comment cette dame respectable aurait-elle cautionné l’authenticité d’un singe ayant atteint le double de son espérance de vie ?

Pourquoi se serait-elle faite complice d’une telle supercherie ?

S’il semble vrai que Cheetah-Jitts peignait des toiles abstraites – lesquelles se vendaient un bon prix à des touristes de passage –, on peut évidemment suspecter que la référence aux films de Tarzan y était pour quelque chose et qu’il y avait intérêt à prolonger une légende aussi lucrative. Cette récolte de fonds était de toute façon destinée au bien-être des pensionnaires du refuge.

Plus suspect encore, ce détail relatif à l’existence d’une ligne aérienne entre l’Afrique et l’Amérique qui semble anachronique. L’aviation, au début des années 30, ne possédait pas de liaison transocéanique de ce genre, la première ayant été établie en 1939.

De quel sexe était Cheetah ?

Mystère également autour du sexe de l’authentique Cheetah. Selon Debbie Cobb, la directrice du refuge de Floride, le chimpanzé qui venait de mourir était de sexe mâle, alors que dans les films de Tarzan, il était plutôt question d’une guenon. Un choix sans doute dicté pour des convenances d’ordre anatomique compréhensibles. Il est vrai que les cadrages de l’époque étaient particulièrement pudiques et ne permettent toujours pas de trancher clairement la question. Sur certaines images du film, il se pourrait même que le singe porte un pagne de la même couleur que son pelage.

Pour le journaliste américain Richard Rosen, le Cheetah-Jitts, mort le 24 décembre 2011, au refuge de Floride, est plus vraisemblablement né dans les années soixante et, de ce fait, n’aurait tourné dans aucun des films de Tarzan, ce qui ne fait qu’ajouter à l’énigme.

Un autre Cheetah en Californie

Mais on n’est pas au bout de nos surprises. De quoi brouiller davantage les pistes, il existe à Palm Springs, en Californie, une fondation baptisée C.H.E.E.T.A, dont le créateur, un certain Dan Westfall, n’est autre que l’ancien dresseur et soigneur d’un singe également prénommé Cheetah-Jitts. Selon lui, c’est dans son refuge pour vieux singes que Cheetah-Jitts aurait pris sa retraite et qu’il aurait vécu au moins aussi vieux que son rival de Floride. Mais, à partir de là, les souvenirs du vieux dresseur deviennent flous. Il n’explique pas ce qu’est devenu son Cheetah et n’apporte aucun éclaircissement
sur l’existence d’un chimpanzé homonyme et concurrent à l’autre bout du territoire américain. Il a seulement gardé en mémoire que son chimpanzé aimait regarder de vieux films de Tarzan à la télévision, en compagnie de Jeeter, son petit-fils qui l’avait rejoint dans sa retraite. Son Cheetah californien peignait également des toiles abstraites qui se vendaient bien à l’occasion de galas de charité. Et il ajoutaitSa gloire cinématographique lui était un peu montée à la tête et il abusait du jus de pomme… 

La valse des Cheetah

Comment expliquer cette étrange dualité ? Quel est le Cheetah le plus authentique ? Celui de Californie ou celui de Floride ? Et si l’on avait affaire à deux imposteurs ?

Plus on creuse à la recherche de la vérité, plus celle-ci paraît embrouillée. Richard. D. Rosen aurait même fini par renoncer à écrire la biographie du Cheetah originel, tant son enquête s’embourbait dans des révélations contradictoires et peu vraisemblables.

Son impression personnelle semble en tout cas tenir la route : selon lui, on assiste à une valse de Cheetah qui auraient défilé sur les scènes d’Hollywood, tant aux côtés de Johnny Weissmuller que dans tous les autres Tarzan qui lui ont succédé sur le grand et le petit écran. La plupart n’auraient tenu que des petits bouts de rôle et plusieurs seraient morts prématurément, en toute discrétion.

Un personnage qui brouille les pistes

Rosen avait débuté ses investigations à partir des souvenirs de Dan Westfall. Le dresseur lui avait confié que son Cheetah lui avait été donné en 1993 par son oncle Tony Gentry, dresseur d’animaux comme lui. C’est ce Gentry qui prétendait avoir ramené le chimpanzé du Libéria par avion en 1932. Mais ce même Gentry, personnage équivoque, qui mélangeait à sa guise le vrai et le faux, livra par la suite plusieurs versions différentes sur la façon dont il avait acquis le chimpanzé. Selon les époques ou les journaux qui l’interviewaient, l’homme racontait l’histoire d’une autre façon. Au Los Angeles Times, en 1985, il confiait qu’en 1938 il avait acheté le chimpanzé, âgé de 2 ans environ, à un marchand de Santa Monica. Quelque temps plus tard, il prétendait au People Magazine qu’on l’avait mal compris et qu’il nourrissait son chimpanzé depuis 38 ans. Plus récemment, il revenait à une version qui se rapprochait de ses premières déclarations : il aurait trouvé le chimpanzé au
Congo belge en 1932.

Allez comprendre…

Ne confondez pas Jitts et Jiggs…

Selon le journal numérique Mediapart, qui a mené également sa propre enquête, Rosen a eu la chance de rencontrer sur sa route un autre dresseur, Hubert Wells, qui allait démêler partiellement l’écheveau de toutes ces ambiguïtés.

Wells lui assura que Gentry avait acquis son Cheeta en 1967, à la fermeture du parc animalier de Santa Monica. Le singe était alors âgé de 6 ou 7 ans et son propriétaire, le dresseur Wally Ross, qui désirait s’en débarrasser, en fit cadeau à Gentry. Et ce dernier le revendit à Dan Westfall.

Wells, sans doute l’informateur le plus fiable du journaliste, était en tout cas formel : ce Cheeta n’a joué dans aucun film et certainement pas dans les films de Tarzan-Weissmuller. Pas même, comme le prétendait Westfall, dans le film L’extravagant Docteur Doolittle, avec Rex Harrison.

On est évidemment en droit de se demander pourquoi Gentry s’est enferré dans tant de contradictions. Toujours selon Mediapart, Jacqueline Gentry, sa femme, possédait de son côté un chimpanzé nommé Jiggs, et ce Jiggs aurait effectivement joué dans les deux premiers films de Tarzan-Johnny Weissmuller, pour un cachet de 350 dollars par semaine. La photo de ce chimpanzé figure d’ailleurs dans les castings de l’époque. Gentry avait peut-être un intérêt financier à entretenir la confusion entre ses singes ?

Enfin le vrai ?

Dans la rubrique nécrologique du magazine Variety, qui relate les faits et gestes des vedettes hollywoodiennes, on trouve, à la date du 2 mars 1938, l’annonce de la mort d’un chimpanzé prénommé Jiggs, décédé à l’âge de 9 ans des suites d’une pneumonie. Dans son hommage posthume, le magazine authentifie Jiggs comme le premier chimpanzé hollywoodien, compagnon de Tarzan, qui serait donc mort et enterré depuis belle lurette. Soit dit en passant, Jacqueline Gentry, la propriétaire, intenta un procès à la Paramount pour maltraitance envers son animal. La société cinématographique aurait, selon elle, obligé le singe à des prestations par des températures trop basses.

Toujours selon Mediapart, le manque de chimpanzés disponibles à la suite de ce décès créa un début de panique à la Paramount, car le succès des films de Tarzan semblait désormais lié à la présence d’un Cheetah au générique. La compagnie se mit à prospecter d’urgence dans les zoos et dans les cirques à la recherche d’un successeur acceptable.

Mais peu de candidats donnaient satisfaction. L’un est mort d’une pneumonie, un autre a mordu son dresseur, on envisagea même, en désespoir de cause, la candidature d’un nain qui proposait de se déguiser en Cheetah.

Curieusement, ce personnage de Cheetah est une pure invention cinématographique, car l’œuvre d’Edgar Rice Burroughs, qui a inspiré les aventures de l’homme-singe, héros de la jungle, n’en fait aucune mention.

Le journal Variety cite les noms de plusieurs chimpanzés à qui l’on confia par la suite un bout de rôle à l’écran mais aucun, semble-t-il, ne possédait les talents du Cheetah originel qui, selon toute évidence, n’était ni le chimpanzé se prélassant au soleil de Californie ni son alter ego qui s’est éteint sous le soleil de Floride.

Vous n’avez pas tout compris ? Consolez-vous. N’est-ce pas le propre des plus belles légendes de s’auréoler de mystère ?