En 1569, pendant l’Angleterre élisabéthaine, une jeune servante du nom d’Agnes Bowker a affirmé devant le tribunal qu’elle avait donné naissance à un chat ou plutôt à une forme de monstre ressemblant très étrangement à un chat. Étonnamment, des témoins crédibles convergent en ce sens tout au long de l’audience alors que de nombreuses personnes ont minutieusement enquêté sur ces dires. Pendant ce temps, les fonctionnaires et les aristocrates ont essayé de comprendre la situation et comment la débloquer. L’histoire du chat d’Agnes Bowker s’est répandue comme une traînée de poudre et a fait sensation jusque dans les appartements privés de la reine Elizabeth. Pourquoi Agnès a-t-elle affirmé avoir accouché d’un chat-monstre et pourquoi les gens l’ont-ils prise au sérieux au point que cela a nécessité une enquête et des audiences au tribunal ?
Qui était Agnès Bowker ?
Agnès Bowker est la fille d’un boucher installé à Harborough, Henry Bowker. Bien que son père soit décédé quand elle était très jeune, elle vit toujours avec sa mère. Elle a 27 ans et travaille comme domestique dans le Leicestershire, en Angleterre quand, en 1598, elle tombe enceinte hors mariage, ce qui, à l’époque, crée un grand scandale. Le 22 janvier 1569, elle témoigne devant le tribunal de l’archidiacre pour dire qu’elle a donné naissance à un chat ou une espèce de monstre.
Ce qui peut paraître fou aujourd’hui n’est en fait pas si bizarre pour l’époque, car, à la fin des années 1500, les superstitions sévissent et beaucoup de gens croient en la magie noire et en la sorcellerie. Certains paysans émettent l’hypothèse que l’enfant d’Agnès soit peut-être un signe ou un avertissement de choses terribles à venir.
L’étrange histoire d’Agnès Bowker
Néanmoins, l’histoire qu’Agnès raconte est aussi farfelue qu’incohérente et elle change très souvent… Elle avoue avoir eu, à plusieurs reprises, des relations étroites avec un serviteur, un certain Randal Dowley. Cependant, elle insiste sur le fait que ce ne sont pas ces rapports qui ont engendré la naissance du chat. À un moment, elle affirme qu’un chat est venu vers elle et l’a accompagnée à plusieurs reprises. Dans une autre de ses versions, il s’agit soit d’un ours, soit d’un chien, soit d’une créature qui changeait d’apparence.
Agnès explique par la suite qu’elle a auparavant travaillé pour un instituteur, Hugh Brady, qui aurait abusé d’elle à plusieurs reprises. Au cours de leurs relations, il lui a dit qu’elle devait épouser le diable et se donner entièrement à lui. Elle affirme que Brady lui a juré qu’il lui enverrait un monstre et il aurait tenu promesse puisqu’est venue à elle une créature qui s’apparentait à un lévrier ou un chat.
Les sages-femmes témoignent
Les sages-femmes, ainsi que les mères de la ville qui sont toutes censées être présentes à la naissance, fournissent des témoignages qui suggèrent que l’histoire d’Agnès est en partie vraie. Sa première sage-femme, Margaret Roos, témoigne du fait que lorsqu’elle a examiné la jeune domestique, elle a remarqué quelque chose dans son corps, […] qui ne correspondait pas à un enfant à naître. Elle affirme qu’elle ne peut pas dire précisément ce qu’il y avait à l’intérieur d’Agnès, mais cela l’a frappée.
La deuxième sage-femme, Elizabeth Harrison, s’occupe d’Agnès au moment de son accouchement. Elle affirme qu’une créature est venue à la jeune mère parfois sous la forme d’un ours, parfois sous la forme d’un chien et parfois sous la forme d’un homme. Elle indique également qu’Agnès lui a dit qu’elle avait rencontré une femme hollandaise alors qu’elle se promenait dans la campagne et qu’elle lui avait prédit qu’elle donnerait naissance à un Mooncalf (un fœtus avorté d’une vache ou, éventuellement, d’un autre animal de ferme). Aucune des dames présentes lors du travail d’Agnès ne l’a réellement vue donner naissance à l’animal.
Des citadins enquêtent sur le chat d’Agnès Bowker
La situation est suffisamment particulière pour qu’un groupe d’hommes de la région ait pris le chat d’Agnès Bowker et pour lui effectuer une autopsie grossière. À l’intérieur de son estomac, ils trouvent du bacon et de la paille, mais rien d’inhabituel ni d’effrayant. Dans le rapport qu’ils font aux villageois, ils expliquent que ce n’est qu’un chat tout à fait normal et absolument pas une entité surnaturelle.
Ces hommes présentent également des preuves qu’Agnès a tenté de s’emparer du chat d’un de ses voisins. Malheureusement, l’animal a mystérieusement disparu depuis.
Plus tard, l’histoire se propage par le bouche-à-oreille et finalement, le commissaire de l’archidiacre, Anthony Anderson, décide de mener une enquête approfondie. C’est probablement en partie par curiosité, mais cela aurait aussi pu être une tentative pour arrêter la propagation de l’histoire, qui est sur toutes les lèvres dans les zones environnantes. Après avoir interrogé des témoins, Agnès elle-même et analysé le chat en décomposition rapide, il déclare que l’animal est un chat normal. Il écrit que le chat… a la longueur, l’épaisseur et la grosseur d’un autre chat mesuré par un compas.
Il est même allé jusqu’à faire une procédure post-mortem sur un autre chat et a souligné les similitudes flagrantes avec le chat d’Agnès. D’autres n’étaient pas dupes non plus. En février 1569, il transmet un dessin du chat, les résultats de l’examen du chat et d’un autre chat à titre de comparaison, et les transcriptions intégrales des témoignages. Ce paquet d’informations est ensuite transmis à William Cecil, secrétaire d’État d’Elizabeth I, qui l’a partagé avec Edmund Grindal, évêque de Londres en août 1569. Anderson a également transmis son opinion sur la situation. Il apparaît clairement qu’il s’agit d’une contrefaçon. Pourtant nous ne pouvons pas extorquer des aveux sur la manière de faire.
L’histoire de ce chat dans la culture de l’époque
L’Angleterre élisabéthaine est à la fois très religieuse et très conservatrice. Sa communauté est divisée entre les catholiques et les protestants et tous croyaient assez fort au fait que le diable peut sévir à chaque instant. De même, les femmes qui tombent enceintes hors mariage connaissent rarement un sort heureux. Durant ses audiences au tribunal, Agnès révèle qu’elle a tenté de se suicider. Les femmes dans sa situation sont souvent confrontées à de terribles difficultés et à l’exclusion.
C’est pourquoi les gens pensent qu’Agnès a inventé des histoires pour tenter de dissimuler la sombre vérité. Tous ses récits ont le même fil conducteur : dans chacun, elle est victime de quelqu’un ou de quelque chose d’autre. Cela lui a peut-être permis d’éviter la disgrâce et de recevoir des soins et de l’attention. Si elle avait dit la vérité, elle aurait probablement perdu son emploi et eu du mal à en trouver un autre.
Bien que ses histoires soient incohérentes, elles n’étaient pas si farfelues dans cette société ultra superstitieuse. C’est probablement la raison pour laquelle les hauts responsables accordent beaucoup d’attention au chat d’Agnes Bowker, que les auditions au tribunal prennent tant de temps et que l’enquête soit si méticuleuse.
Qu’est-il arrivé au bébé d’Agnès ?
Il ne fait nul doute qu’Agnès était enceinte. Des témoignages indiquent qu’elle a menti à Joan Dunmow lorsqu’elle lui a dit que son bébé avait été très vite confié aux bons soins d’une infirmière. Elle affirme également par la suite avoir donné naissance à un bébé mort-né. Alors, qu’est-il vraiment arrivé à son enfant ? Deux hypothèses sont envisagées et ont fait longtemps débat au sein de la société. Certaines personnes pensent qu’elle a commis un infanticide tandis que d’autres sont persuadés qu’elle a réellement accouché d’un monstre, présage que quelque chose de terrible allait s’abattre pour venger les péchés commis par les Tudors.
Personne ne sait ce qui est arrivé à Agnès. Soit elle était très simple d’esprit et a raconté une histoire vraiment déroutante, soit elle s’est mise en victime de manière si convaincante qu’elle a subi peu de conséquences de ses actes. Néanmoins, sa curieuse histoire, de nature si bizarre et remarquable, a survécu 450 ans.