« Plus jamais ça ! »
Tel fut le cri unanime de tous les spectateurs après avoir assisté à la projection du film Jesse James, tourné en 1939. Ils avaient tous été profondément choqués par la scène où l’on sacrifie un cheval en le faisant tomber d’une falaise de 20 mètres au fond d’un canyon.
Dans ce courant d’indignation naquit l’American Humane Association (AHA), qui se fixa pour objectif de surveiller ce qui se passait sur les plateaux de tournage chaque fois que des animaux figuraient au programme de la mise en scène. Jusque-là, Hollywood se croyait un peu tout permis. On apprenait ainsi que les actes de cruauté et de maltraitance à l’égard des animaux-acteurs n’étaient pas rares. Les réalisateurs américains ne reculaient devant aucune audace quand il s’agissait de rendre une scène de guerre ou de western particulièrement réaliste. C’était principalement les chevaux qui faisaient les frais des cascades spectaculaires auxquelles on les soumettait et qui finissaient souvent leur brève carrière d’acteur au fond d’un précipice. Mais on vit aussi, pour les besoins d’une superproduction, des éléphants jetés d’avion en parachute !
L’AHA, avec le soutien d’une large part de l’opinion publique, voulut mettre le holà à ces abus. L’association exigea de pouvoir empêcher les metteurs en scène d’imposer aux animaux des performances qui risquaient de leur coûter la vie ou la santé.
Les chevaux morts doivent ressusciter
Ce fut le début d’une collaboration plutôt houleuse. Les gens du cinéma n’aiment pas beaucoup qu’on leur dicte leur conduite ou qu’on modifie les scénarios qu’ils avaient conçus. Mais, toujours soutenue par une grande majorité de spectateurs, l’AHA se mit à fonctionner de plus en plus comme un groupe de pression. L’association obtint dans un premier temps d’exercer leur droit de contrôle dès l’écriture du scénario. C’est ainsi notamment que les chevaux–acteurs, dont le rôle prévoyait qu’ils tombent au cours d’une scène de poursuite, devaient être spécialement entraînés par un dresseur professionnel pour limiter tous les préjudices pouvant résulter de ce genre de prestation.
L’AHA fut néanmoins accusée de pousser le bouchon un peu loin. Comme en témoigne cet incident quelque peu contestable : à la fin du tournage, acteurs et techniciens avaient dressé un barbecue dans l’intention de se préparer une friture géante avec une cinquantaine de truites évoluant dans un bassin qui faisait partie du décor. L’AHA y opposa un formel veto !
Quand il fallut amener en studio une caisse contenant dix mille cafards pour créer l’ambiance d’un film à suspense, l’AHA exigea que le même nombre de cafards soit recompté au terme de la prise de vue et remis dans leur emballage d’origine.
Deux ânes abattus : scandale !
La tension avait atteint un tel point entre les deux parties qu’en 1966, la rupture était consommée. Sous la menace, et parfois manu militari, les représentants de l’Association furent tenus à l’écart des studios. Mais une bavure commise en 1979, lors du tournage du film La porte du paradis, où un cheval est tué au cours d’une explosion (ce qui entraîna un boycott retentissant du film à sa sortie), relança en force la mission de l’AHA. L’année suivante, une solide convention collective était signée entre producteurs, acteurs et l’association, reconnaissant désormais à cette dernière les droits et l’autorité sur toutes les scènes animalières.
Aujourd’hui, la présence de l’AHA sur les plateaux hollywoodiens est permanente. Tous les animaux-acteurs sont placés sous haute surveillance. Même si cela n’exclut pas de temps à autre un dérapage : comme ces deux ânes abattus lors du tournage en Italie du film Patton ou la décapitation d’un buffle dans le film Apocalypse Now.
Dans certains cas, et grâce aux progrès des techniques modernes, il est à présent possible de tourner une scène périlleuse pour les animaux en images de synthèse. Comme le dit le président de l’AHA : « C’est désormais pour nous la seule façon acceptable de voir un éléphant sauter en parachute… »
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