Salmon André. Essai de poison sur un chien fait par l'ordre de Louis XI.. In: Bibliothèque de l'école des chartes. 1855, tome 16. pp. 167-169.
Le samedi 19 février 1480, à deux heures après midi, se réunissait par ordre de Louis XI, dans l’hôtel de ville de Tours, une assemblée choisie ; on y comptait le maire et quatre échevins de la ville, Jean Guérin et Louis de la Mézière, maîtres d’hôtel du roi, Simon Moreau, apothicaire, deux des gens de Jean de Daillon, gouverneur de Touraine et les clercs de la ville.
Le mandat qui les convoquait ne spécifiait pas l’objet de la réunion ; il disait seulement que c’était pour estre présens et assister à aucunes choses qui se dévoient faire de par le roy. Or, dans cette réunion, on fit l’essai de certains poisons sur un chien ; le poison, mélangé dans une fressure de mouton frite et dans une omelette, fut administré à forte dose, et le chien mourut.
Procès-verbal de l’expérience est dressé, dans lequel on décrit avec beaucoup de détails comment ledict chien estoit mort. Cependant, sur l’ordre des maîtres d’hôtel du roi, le cadavre est conservé dans une des chambres de l’hôtel de ville jusqu’au lendemain, jour où l’on devait ouvrir le chien et constater les désordres causés par le poison dans tous ses organes. Le dimanche, en effet, sept barbiers et chirurgiens sont mandés pour procéder à l’autopsie; seulement, et par mesure de précaution, on alluma un grand feu dans la chambre où était le chien, afin d’en renouveler l’air infecté par la désorganisation du corps et par les miasmes empoisonnés qui pouvaient s’en exhaler ; on fit un modeste déjeuner de harengs et de noix sèches ; puis l’opération fut menée à bonne fin.
Un second procès-verbal fut probablement dressé, et enfin l’assemblée se sépara. Quant au cadavre , il fut porté dans une hotte, le même jour, sur les grèves de la Loire, et y fut enterré.
Que conclure de cette anecdote toxicologique? L’expérimentation semble tirer un intérêt tout particulier de ce qu’elle fut faite par l’ordre de Louis XI, roi soupçonneux et sur le compte duquel on se croit permis de mettre bien des crimes et des cruautés. Cependant, pour le cas dont il s’agit, les conjectures se réunissent plutôt en sa faveur que contre lui. D’abord l’histoire ne nous fait connaître l’empoisonnement d’aucun personnage important pendant l’année 1480, aussi bien que dans celles qui précèdent ou suivent la date de l’essai.
La Chronique scandaleuse aussi bien que les Mémoires de Philippe de Commines sont complètement muets à ce sujet. Ensuite, si Louis XI avait eu quelque dessein sinistre, il n’eût point entouré l’expérience de ses poisons de la publicité qu’il déploie en cette occasion. Quant à nous, à cause même de la solennité de l’expérience, nous n’y pouvons voir qu’une cause simple et innocente, telle que l’éclaircissement d’un doute médical. Peut- être y trouverait-on encore la preuve d’une tentative d’empoisonnement sur Louis XI, mais il nous semble qu’elle eût laissé quelque trace dans l’histoire, et nous préférons nous en tenir à notre première conjecture.
Nous transcrivons ici, d’après le registre des comptes de l’hôtel de ville de Tours, conservé aux archives municipales de cette ville, les pièces qui nous ont fait connaître cette anecdote du règne de Louis XI.
Item oudict moys (de février) et le sabmedi XIXe jour, par Monsieur du Lude fut mandé audict maire faire assembler quatre eschevins à deux heures après mydi en l’ostel de ladicte ville pour illec estre présens et assister à aucunes choses qui se dévoient faire de par le roy ; ce que fut fait. Et audict lieu et heure se trouvèrent Jehan Guérin et sire Loys de la Mézière , maistres d’ostelz du roy nostre sire; aussi se trouvèrent illec Simon Moreau appoticaire , deux des gens dudict sieur du Lude , et aussi furent les clercs de la ville. Et illec fut fait essay de certains poysons qui furent faiz mangez au chien de Macé Blanchet en une fressure de mouton frite et en une amelete d’eufs ; lequel chien mourut; dont fut par lesdicts maire et eschevins baillé certificacion signée de leurs mains pour monstrer au roy comment ledict chien estoit mort. Et pour ce que lesdicts poysons avoient esté montrez en troys escuelles et ung plat d’estain, pour doubte d’inconvénient , fut lacdite vaisselle mise en feu et fondue , puis fut refaicte et rendue , et pour façon et déchiet en eut, le pintier de la Croisille, la somme de XVIIs VId.
Item pour faire l’essay desdicts poysous fut achapté soubdai- nement une somme de boys, XXd.
Item et après que ledict chien fut mort , fut dit par lesdicts maistres d’ostel que le chien demourroit en la chambre de dessus le portai de la ville jusques au landemain jour de dymanche qu’ilz devoyent retourner, ce qu’ilz firent. Et illec furent appeliez Jehan Dumolin, Jehan Mariavala, Pierre Goupil , GiiletBouzon , Guillaume Hardy , Guillaume Guénart , et Estienne Remy, barbiers et cirurgiens, pour ouvrir ledict chien. Et avant que y procéder, fut fait grant feu en la chambre ou estoit ledict chien , et appoincté que chacun desjuneroit pour doubte d’inconvéniant, et puis ledict chien seroit ouvert. Et pour ce, chees Pierre Durant furent faiz cuire deux platz de harens ; pour ce, pour pain , vin et noez vielles , XIs.
Item ledict jour a ung portefays , qui porta en une hôte ledict chien es grèves, et l’enterra , XXIId.
Item à la chamberière Macé Blanchet , qui nectoya la chambre et salle où fut ouvert ledict chien, luy fut donné XId.
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