Animaux de fiction

Willy-Keiko : la mort d’un géant bien-aimé

Flipper ou Willy : même combat !

Qu’on soit orque ou dauphin, faut-il vraiment renoncer à vivre libre pour le bon plaisir des hommes ? Doivent-ils vraiment mourir d’amour pour nous ?

Poser la question, c’est évidemment rallumer la même controverse passionnée, même si, pour une large part de l’opinion, la réponse va de soi. Rien ne justifie de garder un animal en captivité, même si c’est la façon la plus facile et la plus confortable d’aller à sa rencontre.

L’extraordinaire odyssée de Keiko aura fortement contribué à mettre en lumière le sort des cétacés,
en particulier ceux dont on exploite (souvent abusivement) les talents de clown et de comédien.

Keiko est un orque mâle, né vers 1976, qui eut l’infortune d’être capturé par des pêcheurs à l’âge de 3 ans, au large de l’Islande. Ses ravisseurs s’empressèrent de vendre leur prise à un aquarium islandais, qui se trouva assez rapidement débordé par un hôte aussi encombrant.

Mais ce n’était là que le début des aventures mélodramatiques de cet animal marin qui allait très vite devenir le plus célèbre du monde.

Le héros de sa propre histoire

En 1982, Keiko était revendu une première fois à un Marineland canadien, où son dressage commença pour en faire une attraction touristique ; puis une seconde fois, en 1985, au parc aquatique Reino Aventura de la ville de Mexico. C’est là que l’animal fut découvert, dans des conditions de détention assez déplorables, par une équipe de cinéma franco-américaine.

De cette rencontre naquit le scénario explosif qui allait donner lieu à la célèbre trilogie Sauvez Willy.
Keiko, rebaptisé Willy pour les besoins du film, devenait le héros de sa propre histoire. Tout l’enjeu était de susciter suffisamment d’émotion dans le public pour atteindre cet objectif inédit : rendre la liberté à un animal marin captif et le ramener dans son milieu naturel, en l’occurrence les profondeurs de l’Atlantique. Une opération qui n’avait encore jamais été tentée jusque-là.

Émotion à l’échelle planétaire

Ce noble projet rencontrera auprès du public un succès dépassant tout ce qu’on pouvait imaginer. Jamais les consciences n’avaient été autant remuées par la cause animale, jugée assez banale jusque-là. Dès la diffusion du premier des trois films qui lui étaient consacrés, en 1993, Keiko, devenu acteur malgré lui, se trouva du jour au lendemain auréolé d’une renommée internationale, mais aussi l’objet vivant d’une fiévreuse polémique.

Il faut sauver Willy devenait le maître-mot de toute une génération, bien décidée à arracher l’animal à son triste sort.

Très rapidement, une fondation a été créée en son nom, fondation qui récolta jusqu’à 20 millions de dollars dans le seul but de rendre Keiko à la vie sauvage.

Dans l’immédiat, cependant, il s’agissait avant tout de soigner le cétacé captif, dont la peau était couverte de nombreuses plaies. Pour ce faire, il fallut transporter l’animal par avion militaire jusqu’à un centre spécialisé de l’Oregon, où l’on commença à lui apprendre progressivement, mais sous contrôle, à se débrouiller seul dans la nature.

Keiko prend l’avion pour retourner dans son océan

Mais le long délai nécessité par la prudente approche qui précéda la libération de Keiko fut mal compris par de nombreux supporters impatients, qui ne se privèrent pas d’exprimer haut et fort leur indignation et leur mécontentement. Les moments d’espoir et de colère alternèrent pendant toute cette période d’attente, l’incompréhension et la suspicion du public allant croissant. Près de trois ans s’avérèrent nécessaires pour rendre la santé au cétacé, trop longtemps prisonnier d’un bassin trop petit.

Ce n’est qu’en 2002, toujours par avion, et constamment réhydraté en cours de route par ses accompagnateurs, que Willy-Keiko fut ramené dans les eaux de l’Atlantique nord où il avait été capturé vingt-trois ans plus tôt.

Tous les enfants du monde amoureux d’une baleine

Auparavant, ses soigneurs avaient pris soin de l’équiper de balises afin de suivre à distance ses premières évolutions d’orque libre. Ils furent remplis d’espoir en s’apercevant que Keiko avait rejoint un groupe de ses congénères et qu’il s’était mis à chasser avec eux au large de la Norvège.

Car l’orque est un animal qui a besoin d’appartenir à une famille pour survivre harmonieusement. La solidarité d’un groupe est nécessaire à chaque individu.

Mais cet espoir fut très vite refroidi. Il fallut en effet constater que ce retour à la liberté n’était pas vraiment du goût de Keiko. Trop longtemps habitué à la fréquentation des hommes, l’orque revenait fréquemment s’échouer le long des côtes de Norvège en quête de nourriture facile. Chaque échouage provoquait d’importants rassemblements sur les plages, des enfants surtout, car entre Willy-Keiko et les enfants, c’était devenu une véritable histoire d’amour.

Interdit d’approcher Keiko à moins de 50 mètres

Keiko avait aussi pris l’habitude de batifoler dans un petit port de pêche norvégien, dans le sillage des chalutiers, au grand dam des pêcheurs qui ont toujours considéré les orques comme d’indésirables concurrents de leur activité.

Mais Keiko, toujours plus apprivoisé que sauvage, était surtout attiré par les cris des enfants sur les plages, qui venaient le nourrir en lui balançant des seaux de maquereaux. Certains gosses poussaient même l’audace jusqu’à grimper sur son dos comme ils l’avaient vu faire dans les films Sauvez Willy. Au point que les autorités norvégiennes avaient fini par interdire qu’on approche Keiko à moins de 50 mètres.

Mort d’amour ?

Hélas ! Willy-Keiko ne profitera pas longtemps de sa liberté reconquise…et surveillée.

Le 12 septembre 2003, l’orque, âgé de 27 ans, était retrouvé mort dans le fjord norvégien d’Arasvik, à quelques mètres d’un embarcadère relié à la terre ferme. Il avait succombé à une pneumonie foudroyante, une cause de mortalité assez fréquente tant chez les cétacés en captivité qu’en pleine mer.

Mais c’est aussi, semblerait-il, une façon pour ces animaux de se suicider en agissant sur leur système respiratoire, car les orques et les dauphins peuvent aussi mourir de désespoir dans certaines circonstances.

Du coup, la polémique rebondissait. Avait-on eu raison d’enlever Keiko à la sécurité de son bassin et à la sollicitude des hommes ? Son retour à l’océan après une aussi longue captivité ne lui avait-il pas été fatal ? Keiko n’a-t-il pas succombé à la maladie d’amour qu’il avait contractée pour les hommes ?

Peut-être que l’attitude la plus sage à l’avenir serait de ne plus capturer orques et dauphins à seule fin d’en faire des animaux de cirque.

L’expérience n’a pas été renouvelée. Keiko reste le seul représentant de son espèce à être retourné à la vie sauvage après plusieurs années de détention en delphinarium.

Funérailles émouvantes sous la neige

Les commentaires ont été nombreux et souvent controversés à la suite de ce triste épilogue. Certains se sont consolés à l’idée que Keiko aura malgré tout pu nager une dernière fois dans l’océan avant de mourir. Il n’est pas mort prisonnier… contrairement à des dizaines d’autres qui se sont éteints en silence et sans publicité dans plusieurs centres aquatiques de la planète.

Malgré ses dimensions, Willy-Keiko a été enterré dans un pâturage norvégien, proche de la baie et de la plage de Taknes où il avait fini ses jours, non loin du village de Halsa. Pendant trois heures, une excavatrice dut creuser le sol gelé pour accueillir l’impressionnante dépouille.

Bien qu’ayant acquis le statut de vedette de cinéma, Willy-Keiko n’a pas eu tout à fait droit à des funérailles de star.

Elles furent cependant très émouvantes, en présence d’un public nombreux composé d’adultes mais aussi de centaines d’enfants dont la plupart étaient en larmes. Elles eurent lieu à la nuit tombante, en pleine tempête de neige, dans la plus grande discrétion. Les flocons qui tombaient en abondance
ajoutaient au silence religieux qui présidait à la cérémonie.

Une grande nostalgie semblait baigner tout le paysage.

L’équipe dirigeante de la fondation Keiko était présente mais les médias avaient été tenus à l’écart.
On n’a pas fini de sauver Willy

Un monticule de pierres fut élevé au-dessus de la tombe par des écoliers norvégiens qui voulaient ainsi rendre un ultime hommage à celui qui les avait si longtemps fait vibrer.

Ce cairn, bien dans la tradition des anciennes croyances scandinaves, était un geste d’autant plus symbolique que la Norvège n’est pas un pays connu pour son amour des cétacés. Il fut l’un des derniers à renoncer à la pêche à la baleine.

Le biologiste islandais, qui avait supervisé toute la reconversion de Keiko en vue de sa libération, était particulièrement ému. Il a déclaré à la presse : J’ai eu la chance de le soigner, de l’accompagner pendant une partie de sa vie, de ressentir avec lui ses joies et ses tristesses. J’ai assisté à son retour en mer, à ses premières plongées à 50 mètres de profondeur, ce qui devait bien le changer des 6 mètres de fond de ses bassins en béton. Keiko est mort. Nous avons peut-être commis quelques erreurs dans sa reconquête de la liberté, mais n’oublions pas ses nombreux frères et sœurs qui sont encore enfermés dans leurs bassins-prisons.

La disparition de Willy-Keiko n’est pas seulement la mort d’un géant bien-aimé des foules et des enfants, c’est aussi devenu le point de départ d’une longue bataille pour venir au secours de tous les cétacés menacés par les hommes, car on sait à présent que, de par leur intelligence et leur sensibilité, ces créatures aquatiques sont nos plus proches parents sur l’échelle de l’évolution.

Nous n’avons pas fini de Sauver Willy

Raissa

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