Animaux imaginaires

Le Kraken, entre récits et légendes

Le kraken est-il un animal fabuleux créé de toute pièce de l’imagination des populations du littoral des côtes de la Norvège, ou existe-t-il effectivement un monstre marin aussi colossal ? Difficile à dire de prime abord. Nous aurions tendance à ranger le kraken parmi les animaux apocryphes, mais les croyances d’une grande quantité de personnes de bonne foi nous obligent à faire taire notre jugement peut-être hâtif pour tendre l’oreille à ces témoignages. Dans tous les cas, il ne coûte rien de regarder de plus près ces légendes et les chroniques répandues en Norvège sur le Léviathan des profonds abîmes de la mer.

 

La Norvège, le berceau d’innombrables légendes

 

Les pêcheurs de la Norvège sont persuadés de l’existence d’une ou de plusieurs de ces créatures sur leurs côtes. Cet animal, disent-ils, est d’une grosseur considérable. On ne connait au juste son volume exact puisqu’il ne sort jamais entièrement de l’eau, toutefois, les suppositions énoncent le chiffre d’une circonférence d’un minimum de 3 mètres ! Lorsque le kraken approche des côtes, ajoutent-ils, la pêche devient très abondante, étant donné le pouvoir attractif de cet animal sur le poisson qu’il consomme évidemment en grande quantité. Il lui faudrait, semble-t-il, un minimum d’un ou deux milliers de maquereaux ou de harengs. Néanmoins, si sa présence sur les côtes permet d’abondantes pêches, elle cause aussi de désastreuses tempêtes et les flots de mer soulevés par ses mouvements endommagent bien facilement les bâtiments.

Certains chroniqueurs accordent au kraken un volume et une puissance encore bien plus considérables. Ils prétendent que cet animal dépasse les 20 mètres de circonférence et que ses bras ou antennes ont généralement 80 à 100 pieds de long (24,4 à 30,5 mètres). Une légende norvégienne rapporte même qu’en 1400, lors d’une magnifique journée, une grande île s’éleva tout à coup des profondeurs de la mer. Toute rocailleuse, l’île était apparemment couverte de coraux et d’herbes marines. L’évêque de Christiana, capitale de la Norvège, ayant eu connaissance de ce phénomène, voulut consacrer la nouvelle île où il se déplaça, accompagné de son clergé. Après avoir récité les offices au milieu d’un nombreux concours de curieux, toute l’assistance se retira, persuadée qu’une nouvelle possession entrait dans les mains de la Scandinavie. Mais, chose extraordinaire, à peine l’assistance partie, l’île miraculeuse disparut au fond des eaux, laissant à croire qu’elle n’était autre chose que le fameux kraken.

D’autres légendes encore prétendent que le kraken est un animal monstrueux demeurant dans les plus profonds abîmes de l’Océan. Dieu, disent-elles, a créé cet animal expressément pour qu’il réside ad vitam aeternam sous les flots, chargé du rôle de les diriger. Une fois seulement tous les cents ans, il apparaît à la surface de la mer pendant plusieurs jours, pour ensuite replonger dans son royaume aquatique.

Elles ajoutent que le phénomène du puissant maelstrom qui met sens dessus dessous les eaux encerclant les îles situées près des côtes de la Norvège, vers le 57e degré de latitude, est provoqué par la respiration du kraken, qui habite le fond de la mer alentour.

Mais à côté des légendes enjolivées et des contes, il y a toujours un fond de vérité à l’origine des croyances d’un peuple. Lors du 16e siècle, il est également fait mention de l’apparition d’un animal monstrueux, échoué sur les côtes norvégiennes, au beau milieu des rochers, d’où il ne put jamais se dégager et expira son dernier souffle. Son corps resta là, abandonné, recouvrant plusieurs arpents de terre. En se décomposant, la puanteur fut si forte que les habitants alentour durent fuir, départ d’autant plus urgent que la peste accompagna l’odeur et fit ainsi beaucoup de victimes.

 

L’épouvante à bord d’un vaisseau de Saint-Malo

 

C’est sans doute à quelque animal de l’espèce du kraken qu’il faut rapporter le fait qui donna lieu à un don ou ex-voto que l’on voyait encore il y a peu dans la chapelle Saint-Thomas, à Saint-Malo.

Voici ce qui donna lieu à ladite offrande des matelots de Saint-Malo :

Le capitaine Jean-Magnus Dens, homme respectable et digne de confiance, raconte qu’en revenant d’un voyage en Chine il se trouvait au milieu de l’Océan, dans les parages de l’île Sainte-Hélène ; son vaisseau avançait avec allure grâce à une bonne brise. Mais tout à coup il fut immobilisé ; peut-être était-ce dû à une tête de roche ? Le capitaine fit jeter la sonde qui descendit à plus de deux cents brasses. Il fut arraché à son trouble face à ce phénomène par les cris d’épouvante des marins occupés à laver le pont du navire : plusieurs bras immenses et velus s’étaient tout à coup étendus au beau milieu des agrès[1] du vaisseau et avaient saisi deux des matelots les entrainant hors de celui-ci, pendant qu’un autre bras tenta de s’emparer d’un troisième marin entre les haubans qui se cramponnait aux cordages et étouffait sous la pression de la gargantuesque créature. Le capitaine, homme de courage et de sang-froid, ordonna à ses matelots de s’armer de haches afin de couper les bras du monstre.

Grâce à la promptitude de cette manœuvre, le matelot qui était pris dans les haubans fut dégagé, mais il succomba malheureusement le lendemain des suites de cette attaque. Quant aux deux autres malchanceux, on ne retrouva pas trace d’eux… Le vaisseau reprit sa marche, sans qu’on n’entendît plus jamais parler d’eux.

Le capitaine, soulagé d’avoir échappé à une funeste mort, fit vœu de donner un tableau représentant cette scène à l’église Saint-Thomas de Saint-Malo.

Dans tous les cas, les tronçons de bras du monstre restés sur le navire peuvent donner une idée de son volume entier. Puisqu’ils mesuraient bien 25 pieds (soit 7,62 mètres), on peut sans trop de risque s’oser à avancer le chiffre de 45 à 50 pieds (soit 13,716 à 15,24 mètres).

Il est certain que les abîmes océaniques renferment d’extraordinaires animaux, ainsi que d’étonnants monstres marins qui nous sont totalement inconnus. Même s’il faut faire la part des choses face aux récits un brin rocambolesques des voyageurs, on peut au moins en accepter ce que la logique et le bon sens nous permettent de croire, mais gardons-nous d’oublier ce célèbre adage rappelant que la réalité dépasse parfois la fiction…

Mathilde

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