Les « vaches de mer » ne font plus rêver
Il faudra attendre l’aube du XIXe siècle et l’avènement des sciences naturelles pour remettre la sirène à sa place, celle d’un joli mirage. Depuis que les savants modernes ont pu observer les évolutions aquatiques du lamantin, ce mammifère marin des eaux tièdes, aussi appelé dugong, il est apparu que certaines de ses caractéristiques anatomiques pouvaient prêter à confusion avec celles des fameuses naïades. Les femelles lamantins ont effectivement sur le haut de la poitrine deux mamelles imposantes, des nageoires assez semblables à des bras humains et un corps massif qui se termine par une large nageoire caudale. Elles portent parfois leur petit entre leurs « bras » et peuvent se dresser dans l’eau jusqu’à la taille.
Certes, il aura fallu toute l’imagination des gens de mer pour voir dans ces indolents herbivores marins, parfois surnommés « vaches de mer », des créatures de rêve. Si la légende en a pris un coup, elle ne s’est pas éteinte pour autant. Grâce au talent d’un écrivain danois, Hans Christian Andersen, qui en a fait l’héroïne d’un conte charmant, la sirène a perdu beaucoup de sa réputation maléfique. Dans cette belle histoire d’amour, la sirène a retrouvé une sorte de virginité. La poésie et le merveilleux ont repris leur place. Passant de la diabolisation à la féérie, la sirène n’en continue pas moins à entretenir cette ambiguïté, toujours propice à la perpétuation des légendes.
À travers ce mythe de la femme-poisson, aguichante et fatale, les hommes ne trouvent-ils pas l’occasion d’exprimer quelques-unes de leurs plus vieilles obsessions : l’amour, le sexe et la mort ?